Nicolas Belorgey | sciences sociales
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Réformer l'hôpital, soigner les patients.
Une sociologie ethnographique du nouveau management public. Thèse pour l'obtention du doctorat de sociologie, EHESS Présentée et soutenue publiquement le mardi 20 janvier 2009. Mention très honorable avec les félicitations du jury à l'unanimité et vote à bulletin secret. Jury: - Martine Bungener, Directrice de recherche au CNRS - Danièle Carricaburu, Professeur à l'Université de Rouen - Alain Desrosières, Administrateur de l'Insee - Vincent Dubois, Professeur à l'Université Robert Schuman (rapporteur) - Philippe Steiner, Professeur à l'Université Paris 4 (rapporteur) - Florence Weber, Professeur à l'Ecole Normale Supérieure de Paris (directrice de la thèse) Laboratoire de rattachement: Centre Maurice Halbwachs, équipe ETT (UMR 8097, CNRS–ENS–EHESS). Résumé de la thèse: Les pouvoirs publics français tentent depuis le milieu des années 1970 environ de « maîtriser les dépenses de santé », notamment dans les hôpitaux. En particulier, depuis le début des années 1980, ils expérimentent de nouveaux instruments de régulation économique, comme le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI, 1982) ou la Tarification à l’activité (T2A, 2005). Ils ont également de plus en plus recours aux outils du Nouveau management public (NMP), cette doctrine d’origine entrepreneuriale visant à importer dans le secteur public les outils du secteur privé : indicateurs de « performance », benchmarking, « responsabilisation » des professionnels, incitations financières au rendement, recours à des consultants privés, dédifférentiation entre les secteurs public et privé (notamment par la mise en cause des statuts de la fonction publique), enfin recours à des agences spécialisées et présentées comme purement techniques. Au-delà de leur théorie, en quoi consistent en pratique ces réformes managériales et quels sont leurs effets sociaux ? Pour répondre à cette question, l’enquête a procédé par deux voies d’entrée ethnographique, l’une partant des institutions décisionnelles pour « descendre » vers les hôpitaux et leurs patients, l’autre ancrée dans ceux-ci pour « monter » vers celles-là . Autrement dit, pour reprendre les catégories de la science politique anglo-saxonne, il s’agit de l’étude d’une policy par une approche à la fois top-down et bottom-up. La voie descendante est partie d’une agence typique du NMP, rattachée au ministère de la santé. Elle s’est prolongée par des consultants privés qui interviennent pour son compte dans des hôpitaux, pour enfin aboutir dans des services de soin. La voie ascendante est partie d’usagers du système de santé et de services de soin pour remonter vers l’agence ministérielle. L’enquête s’est concentrée en plus de celle-ci sur trois cabinets de conseil, trois services de soin (dont deux services d’urgence, cette spécialité étant particulièrement révélatrice des tensions de l’institution hospitalière), deux services administratifs, et les patients d’un réseau de soin ville-hôpital ; au total, elle s’est intéressée à une dizaine de cabinets de conseil et à une vingtaine d’établissements pour leurs services administratifs ou de soin ; elle a recueilli formellement 110 entretiens et ses observations ont se sont échelonnées sur quatre ans. Cette double voie d’entrée ethnographique, descendante et ascendante, a été complétée par des données quantitatives : deux questionnaires conçus inductivement, l’un destiné à des patients (n=154), l’autre à des soignants (n=105), ainsi que le retraitement de bases de données médico-administratives recensant les passages dans certains services d’urgence (au total, 1,8 million de passages). La combinaison de ces sources permet de voir l’ensemble d’une politique publique en actes, depuis ses intentions jusqu’à ses effets sur les cibles de l’action, soignants (c'est-à -dire médecins et paramédicaux) ainsi que patients, en passant par ses instruments : outils de gestion et acteurs intermédiaires. Cette enquête s’inscrit dans un questionnement théorique qui relève à la fois de la sociologie politique, plus particulièrement celle de l’action publique, et de la sociologie économique, puisqu’elle s’appuie notamment sur les manières de compter des acteurs : tous font des comptes, mais ne comptabilisent pas les mêmes choses ni de la même façon, ce qui est à l’origine d’une grande partie de leurs conflits. En effet, l’enquête montre tout d’abord que la tension entre réformateurs et soignants provient essentiellement de la concurrence où ils se trouvent pour définir les buts légitimes de l’institution hospitalière et exercer le pouvoir en son sein. Tous effectuent des actes de gestion, mais si les objectifs des réformateurs sont essentiellement budgétaires (et non simplement d’« efficience »), ceux des soignants sont également sanitaires. Le deuxième résultat de l’enquête concerne l’agence ministérielle. Celle-ci utilise certes des mécanismes de marché, mais elle exerce toujours par leur intermédiaire un pouvoir d’État. Elle renouvelle les techniques de gouvernement et les normes que l’État tente de faire valoir dans les hôpitaux, mais ne fait en rien disparaître l’exercice de son pouvoir, bien au contraire. Les réformateurs tentent de convertir des problèmes de moyens en problèmes d’organisation, autrement dit de rendre les hospitaliers responsables des difficultés qu’ils rencontrent. Ils ont recours pour cela à des benchmarks, dont l’enjeu véritable est moins d’instaurer une comparaison que les intéressés pratiquent déjà largement eux-mêmes, que d’opérer celle-ci sur de nouveaux critères, plus productivistes. Ces réformes, pour se réaliser, doivent ensuite être portées dans les hôpitaux par des agents intermédiaires, comme des administrateurs et des consultants. Mais leur appropriation par ceux-ci dépend de leurs socialisations professionnelles et sociales au sens large. On assiste ainsi à des phénomènes de résistance et de conversion. Paradoxalement, les acteurs qui se présentent a priori comme les plus hostiles aux réformes sont aussi parfois ceux qui s’en font les meilleurs relais, en raison de leurs dispositions antérieurement acquises ou par la meilleure reconnaissance professionnelle et sociale qu’elles leur procurent. Les méthodes des intermédiaires quant à elles se présentent volontiers comme un néo-machiavélisme, au sens où certains d’entre eux ne reculent pas devant la ruse pour faire prévaloir les intentions du prince, sans interroger plus avant le bien-fondé de celles-ci. La confrontation de ces intentions réformatrices avec la réalité hospitalière fait ressortir plusieurs éléments. Tout d’abord, la comparaison de deux services d’urgence, l’un à la pointe des réformes, l’autre en opposition à elles, montre que le contexte local, c'est-à -dire notamment l’histoire des relations entre les établissements et leurs tutelles, le niveau départemental de l’offre et de la demande de soins, le rôle du chef de service, sont déterminants dans l’acceptation ou le rejet des réformes. Ensuite, si les soignants s’opposent d’une manière générale à des réformes qui réduisent leurs moyens, cette opposition est moindre chez ceux qui occupent dans la division du travail hospitalier une position relativement dominée : paramédicaux plutôt que médecins, spécialités médicales peu reconnues par rapport aux autres, CH par rapport aux CHU, « périphérie » par rapport au « centre », administration par rapport aux soignants. Enfin, les appartenances professionnelles sont impuissantes à rendre compte à elles seules de l’attitude face aux réformes managériales. Les soignants s’approprient d’autant plus celles-ci qu’ils se situent dans la configuration established-outsiders au sens de Norbert Elias, largement informée par les questions migratoires, plutôt du côté des derniers arrivants ; qu’ils sont issus de milieux défavorisés ; qu’ils sont arrivés sur le marché du travail dans les années 1980. Inversement, une socialisation familiale précoce au monde du soin, notamment par le biais des mères, favorise la résistance aux réformes managériales. En ce qui concerne les effets sociaux des réformes, l’enquête s’écarte des discours réformateurs de plusieurs façons. Tout d’abord, les réformes ne mesurent généralement pas le résultat des soins, c'est-à -dire leur qualité, mais seulement leurs moyens, ce qui favorise une intensification du travail des soignants et la réalisation d’économies budgétaires. Ensuite, dans un des services les plus « avancés » sur la voie des réformes, l’amélioration de l’ « efficience », mesurée par le temps d’attente des patients, va de pair avec une dégradation de la qualité, approchée par le taux de retour de ceux-ci. Dans l’espace des pratiques médicales possibles, les patients examinés plus rapidement sont aussi ceux qui doivent revenir plus fréquemment. Enfin, le durcissement des conditions de la négociation que les patients doivent mener pour accéder aux soins, pénalise surtout les moins favorisés d’entre eux, ce qui renforce les inégalités sociales de santé. Au-delà des hôpitaux français, cette enquête peut éclairer d’autres secteurs d’action du NMP. Version imprimable (pdf)Plan de la thèsePar rapport à l'original, cette version de la thèse comprend quelques modifications, issues de la relecture avant la soutenance, de celle-ci, et d'informations complémentaires communiquées par certaines personnes mentionnées dans l'enquête.Thèse complèteMême remarque sur la version de la thèse que pour son accès par chapitre. |
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