Nicolas Belorgey | sciences sociales

Témoignage chrétien (2 décembre 2010)

Le titre et ma qualification d'économiste ont été rajoutés par le journal.

La santé et les échecs de marché

Par Nicolas Belorgey, économiste, auteur de L’hôpital sous pression

Un raisonnement courant aujourd'hui consiste à arguer des déficits croissants des hôpitaux, autrement dit de leur faible rentabilité, pour en déduire qu’ils ne seraient pas assez productifs ou pas assez efficaces, en raison par exemple de personnels trop nombreux, et en conclure au besoin qu’il y aurait de les « rationaliser », de réduire leur nombre. Ce raisonnement consiste à transposer à la sphère hospitalière les catégories de pensée issues d’une vision financière des entreprises privées : une entreprise non rentable, en déficit, coûte plus cher qu’elle ne rapporte, ce serait donc une absurdité économique au sens où elle détruirait de la valeur au lieu d’en créer, il faudrait donc la fermer.
La transposition de cette façon de voir à la sphère hospitalière pose cependant problème. En effet, soigner les personnes ne relève pas nécessairement d’une activité marchande, lucrative, même si cela peut se produire. Historiquement, cette activité s’est toujours présentée à la fois comme une nécessité tant morale que pratique pour une collectivité, et comme ayant un certain coût financier pour elle.
La question essentielle n’est donc pas celle de la rentabilité de l’activité de soin, mais celle de ses moyens de financement. Schématiquement, ces moyens peuvent être de deux sortes, selon qu’on passe par la sphère marchande ou non marchande. Dans la première, le soin est considéré comme un produit vendu sur un marché, valorisé au prix fixé par ce marché. Mais dans le domaine de la santé, les besoins en soins peuvent être (et sont de plus en plus aujourd'hui en France) le fait de populations âgées et/ou démunies, pas toujours solvables. De plus, pour bien fonctionner, un marché suppose une certaine transparence de l’information, alors même qu’il est très difficile en pratique d’évaluer la qualité d’une prestation de soin. Aussi la santé est-elle typiquement un domaine où s’observent ce que les économistes nomment des échecs de marché : des situations où le marché ne parvient pas à opérer une bonne allocation des ressources. C’est pourquoi les politiques de santé font traditionnellement appel à d’autres modes de financement, non marchands. La question redevient alors directement celle de ce que la collectivité est prête à donner pour soigner ses malades.
Or, les évolutions actuelles de la politique de santé en France tendent plutôt à rapprocher le financement des hôpitaux du modèle marchand. L’observation de cette politique en pratique permet en effet de constater trois choses. Premièrement, que les pouvoirs publics mettent une très forte pression sur les hôpitaux pour que ceux-ci réduisent leurs coûts, plutôt que d’augmenter leur niveau de financement. Ils ont précisément recours pour cela aux outils du « nouveau management public », mélange de recettes d’origine entrepreneuriale qui incluent aussi bien la réduction des « dépenses inutiles » que certaines formes anciennes d’exercice du pouvoir parfois proches de la manipulation. Or – deuxième constat – il n’est pas du tout certain que ces fameuses « dépenses inutiles » existent, ou que la politique en question les réduise sans altérer bien sûr la qualité des soins. Au contraire, on constate plutôt des cas de dégradation de cette qualité des soins, aux lieux mêmes où la pression réformatrice est la plus forte. Par exemple, les soignants qui coopèrent le plus avec les nouvelles injonctions voient certes plus vite leurs patients, mais ceux-ci doivent revenir les voir plus souvent, ce qui suggère l’absence des fameuses « marges de progression » dont parlent les réformateurs. Ces pratiques ont aussi pour effet de durcir les conditions financières et pratiques d’accès aux soins, ce qui touche en priorité les patients les plus démunis. Enfin – troisième constat – les pouvoirs publics tentent de modifier le mode de financement même des hôpitaux, avec des outils tels que la « tarification à l’activité » (T2A), qui ressemble à la tarification à l’acte du secteur privé et qui évalue mal le travail effectivement accompli dans les hôpitaux, précipitant les fameux « déficits » reprochés à ceux-ci. On se retrouve ainsi plus proche du modèle marchand et de ses échecs à prendre en compte les besoins de toutes les populations.




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